Que peut bien faire un retraité de 81 ans (bientôt 82…), veuf depuis peu et tout juste opéré d’un cancer du côlon pour occuper ses journées de confinement qui promettent d’être longues … D’autant que mes enfants me font jurer que je ne sortirai pas, n’irai ni au cinéma ni au concert, ne verrai pas mes vieux potes pour nos traditionnels déjeuners où nous refaisons le monde, n’irai même pas chercher mon journal ou faire quelques courses… Même si je faisais la bêtise de mourir, Hélène (ma fille) me dit qu’elle n’aurait même pas le droit de venir me voir.

Je dois donc m’organiser ! Mon congélateur est plein de bonnes choses et je m’attèle à quelques recettes de mon cru (assez réussies je dois avouer). J’ai depuis 25 ans une activité d’audio lecteur bénévole pour les malvoyants qui m’occupe quelques heures par jour.

Mais j’ai encore du temps et de l’énergie à revendre. Hélène me propose alors d’assurer avec elle quelques appels à des personnes âgées isolées afin de soulager la Protection Civile de ces appels de solidarité. J’accepte bien entendu et là, mes enfants, c’est le feu d’artifice qui commence !

Hélène m’annonce qu’il y a 20 000 personnes à appeler (70 000 à présent). La Protection Civile a mis en place une plateforme de remontée d’informations très facile d’utilisation, je lis (rapidement) le briefing préparé et je me lance.

Je suis un peu timide au départ car je me demande quelle va être la réaction des personnes que j’ai en ligne. En fait je découvre très vite qu’il ne s’agit pas uniquement de faire remonter à la Protection Civile d’éventuels problèmes graves de santé mais également d’apporter un peu de chaleur et de compagnie a des personnes isolées et qui, je vais très vite m’en apercevoir, sont heureuses de parler à quelqu’un.

Une découverte pour moi ! Les Français sont beaucoup moins râleurs et exigeants que toutes les chaines d’information veulent bien le dire. Je m’étais dit que les gens allaient se plaindre et que j’allais me faire engueuler. Pas du tout ! Les appelés comprennent immédiatement de quoi il s’agit et remercient spontanément pour ce geste qui les touche. Plusieurs me demanderont de faire remonter des remerciements de leur part à la Protection Civile. Une majorité de femmes dans mes appels, la quasi-totalité habitant Paris.

Première surprise pour moi qui ne mets pas un pied dehors (je soupçonne Hélène d’avoir des espions qui lui relatent mes faits et gestes), tous mes interlocuteurs admettent sortir, en tout cas pour certains plus fréquemment que moi. Malgré ma jalousie, je leur demande poliment s’ils prennent des précautions et je leur rappelle les gestes barrière.

Je m’aperçois très vite que les personnes à qui je parle ont des choses à dire, sont heureuses de m’avoir en ligne et de bavarder un peu. La plupart sont optimistes et à part quelques grincheux qui en veulent au monde entier, s’accommodent plutôt bien de la situation contraignante. Une très grande partie a connu la guerre et les bombardements : « C’était autre chose Monsieur, on attendait que les bombes nous tombent sur la tête ! » J’explique alors que je sais, car j’avais 6 ans en 1944, ce qui amuse beaucoup les dames qui découvrent qu’un bénévole peut-être plus vieux qu’elles … Un monsieur charmant m’expliquera que ses problèmes sont dus à son âge jugé canonique : « Pensez donc Monsieur j’ai 76 ans », j’avoue que je n’ai pas résisté à lui répondre « Vous savez cher Monsieur, moi j’en ai 81 !» … Silence au bout du fil et nous avons ri ensemble en nous jurant « Bon d’accord, la semaine prochaine c’est moi qui vous appelle ! ».

Je passe sous silence la charmante jeunette de 78 ans qui m’a « dragué » pour que je la rejoigne comme Témoin de Jévovah : « Croyez-moi Monsieur c’est Jéhovah qui a la solution à tous nos problèmes » ! Elle ne m’a pas convaincu mais nous avons passé un bon moment. J’ai pu échanger quelques bonnes recettes de cuisine, parler musique avec ceux que cela intéressait, voyages…et plein d’autres choses.

Evidemment, j’ai fait la partie sympa du travail, car la Protection Civile que j’admire profondément pour leur engagement, prend le relai pour les cas graves de manque d’accès aux soins ou à la nourriture.

Hélène chérie, merci à toi de m’avoir mis sur ce coup-là. Je ne sais pas si j’ai apporté quelque chose aux autres mais ce que ça m’a apporté est inestimable. Remercie tes interlocuteurs à la Protection Civile qui eux pensent d’abord aux autres avant de penser à eux. Et c’est reparti pour quelques appels !

Guy, 81 ans, bénévole à la Protection Civile