Diplômé de Sciences Po, Nicolas Robin est chef de projet à la Direction interministérielle de la transformation publique. Il accompagne les projets de transformation de l’Etat, en particulier dans la mise en place de nouveaux modes d’intervention innovants.

En mars 2020, anticipant l’épidémie de Covid-19 en France, l’Assistance Publique –Hôpitaux de Paris (APHP) a lancé Covidom, un ambitieux programme de télésurveillance médicale à domicile des patients suspectés ou atteints de Covid. Ce dispositif, à travers des questionnaires de santé quotidiens envoyés aux patients, a permis de suivre plus de 60 000 patients entre mars et avril 2020, et a joué un rôle déterminant dans le désengorgement des services d’urgence.
Pour rappeler les patients ayant généré des alertes, ce dispositif a majoritairement reposé sur des volontaires médecins et soignants ou apparentés. Mais il a aussi mobilisé un grand nombre de volontaires non soignants : une première à l’APHP.
En effet, pour pallier la surmobilisation des personnels hospitaliers dans leurs services de soins, pas moins de 16 000 volontaires non soignants ont proposé leur aide à l’APHP. Ces bénévoles sont venus, en fonction de leurs compétences respectives, apporter une aide précieuse à l’organisation hospitalière dans les domaines RH, communication, informatique, statistiques, secrétariat, logistique… Parmi ceux-ci, 350 volontaires non soignants ont été mobilisés sur Covidom pour rappeler les patients ne répondant pas à leur questionnaire de télésurveillance. Cette activité, effectuée sous supervision médicale, a permis de faire passer le nombre de patients non répondants de 21 à 9%, et d’identifier efficacement des patients trop isolés, exclus du numérique ou en grande détresse sociale pour les orienter vers des prises en charge adaptées.
Soigner et prendre soin
Cette mobilisation de volontaires non soignants a permis de mettre en place très rapidement (10 jours entre l’idée et le passage à l’échelle) un dispositif d’urgence à forte valeur ajoutée pour les patients et le système de soins. Cette «cellule citoyenne» du dispositif Covidom a permis à des étudiants, des chômeurs, des salariés en réduction d’activité, des retraités, ne venant pas du monde de la santé, d’être directement acteurs du suivi des patients par l’intermédiaire d’un contact téléphonique régulier, sous la supervision étroite de médecins. A travers les différents cas rencontrés, cette expérience a permis aux volontaires de développer une expérience réelle de la relation patient et une solide culture autour de la pathologie. Ils ont fait la démonstration qu’il existe un vaste espace autour des patients pour «prendre soin» sans pour autant soigner. Somme toute, pour accorder autant de valeur au care qu’au cure.
"Sans bénévoles, cette innovation n’aurait tout simplement pas été réalisable.”
En développant cette nouvelle activité de suivi des patients non répondants, les citoyens mobilisés ont créé leur propre espace de compétence, en développant rapidement une très forte expertise d’usage dans leur champ. Cette montée en compétence rapide s’est largement alimentée de l’expertise des médecins et soignants qui les entouraient, et ils leur ont en retour permis de mieux comprendre et appréhender le public auquel ils s’adressent, en ayant établi une relation de nature différente avec lui.
Le recours au volontariat, dans le cas présent, n’est donc pas le recours à un travail gratuit se substituant à un travail salarié. Les citoyens mobilisés ont mis en œuvre une innovation en matière de télémédecine, pour laquelle aucun financement institutionnel n’est normalement prévu. Sans bénévoles, cette innovation n’aurait tout simplement pas été réalisable.
Un dispositif co-construit par les soignants et les bénévoles
La dynamique de bénévolat citoyen, à l’échelle d’une région, a été de plus un formidable accélérateur de la croissance et de la montée en qualité du dispositif. Grâce à des échanges réguliers, formels et informels, avec les volontaires, les différents outils et processus ont pu évoluer au jour le jour pour s’adapter à l’explosion du nombre de patients suivis. Surtout, cette dynamique collective a permis d’identifier les angles morts de la prise en charge en télésurveillance pour mettre en place des nouvelles formes d’intervention sociale et sanitaire adaptées à chacun.
En quelques semaines, des partenariats ont permis d’organiser un suivi spécifique des patients non francophones, des patients en grande exclusion sociale ou exclus du numérique, donc en incapacité d’utiliser l’application de télésurveillance. Des bénévoles ont également sollicité des dons d’entreprises en produits de première nécessité pour les jeunes enfants, et peuvent désormais en proposer la distribution aux mères isolées en précarité financière.
C’est là toute la particularité d’une action publique de crise reposant sur des citoyens volontaires: elle doit être construite directement avec eux chaque jour, afin que chacun s’y reconnaisse et s’y implique, construisant ainsi un cercle vertueux d’innovation, de qualité et de mobilisation.
Les réponses aux crises, sanitaires ou non, créent des élans de volontés qu’il s’agit de soutenir et orienter utilement, là où l’action publique a plus de mal à agir avec ses outils traditionnels : les volontaires n’y apportent pas seulement leur temps, ils construisent eux-mêmes un dispositif qui leur ressemble. Au-delà des crises, on pense aussi ici à toutes ces potentielles innovations d’intérêt général, capables de mobiliser largement des citoyens. Ces idées peuvent, avec le soutien de l’Etat ou des collectivités, être testées, améliorées, appropriées, pour faire la preuve de leur efficacité, voire de leur indispensabilité, et alimenter la construction de l’action publique.
Pérenniser et valoriser la mobilisation citoyenne
Cela implique de pérenniser des leviers de mobilisation citoyenne autour de sujets stratégiques, tels que la plateforme jeveuxaider.gouv.fr lancée par le Gouvernement pour faciliter la mobilisation citoyenne dans la réponse à la crise sanitaire. Cette capacité de mobilisation pourrait être renforcée, par exemple en ouvrant la possibilité aux étudiants de valider des crédits universitaires pour un engagement citoyen, comme le font déjà certaines universités. Ces engagements pourraient également être valorisés pour les salariés et les demandeurs d’emploi, en travaillant à la certification des acquis professionnels réalisés pendant ces expériences. Enfin, l’intégration effective des activités développées dans le champ pérenne de l’action publique doit amener à les normaliser, et donc à rémunérer ceux qui les effectuent.
L’essaimage de telles démarches serait également l’occasion de démontrer qu’une innovation réussie est conçue collectivement, avec tous ceux qui y participent, en remettant tous ensemble l’ouvrage sur le métier autant de fois qu’il le faudra. La mise en place prévue du Service national universel (SNU) en France est une belle occasion de mobiliser des jeunes sur des projets d’intérêt général, en leur proposant non de servir, mais de construire.
Ces nouvelles formes d’intervention sociale et sanitaire en temps de crise répondent aux qualités d’adaptation et de mobilisation des citoyens dans un esprit de solidarité, et constituent un pilier majeur de la responsabilité sociale en santé.
Retrouvez la tribune originale sur le site de l’Agence universitaire de la francophonie :
https://actif.auf.org/outils/la-veille-strategique-sur-linnovation-sociale/
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