Christophe Aubel est le directeur général délégué à la mobilisation de la société de l’Office Français de la Biodiversité (OFB).

L’OFB est un établissement public dédié à la sauvegarde de la biodiversité. Une de ses priorités est de répondre de manière urgente aux enjeux de préservation du vivant.

Pourquoi faut-il continuer à s’engager pour la biodiversité en pleine crise sanitaire et économique ?

En ce moment, il nous faut évidemment gérer la crise, mais dans la mesure du possible, il faut maintenir notre engagement pour la biodiversité car les enjeux de moyens et longs termes demeurent. Il est essentiel de rappeler que l’érosion de la biodiversité et le dérèglement climatique s’imposent à toute la société. La qualité de notre avenir dépend pour une large part de la qualité de la biodiversité. Si nous ne savons pas répondre à ces enjeux, nous allons rencontrer de sérieux problèmes. En un sens, la crise du Covid-19 nous en apporte un enseignement, car elle a remis en évidence le lien entre l’émergence de maladies infectieuses et les atteintes à la biodiversité. Lorsqu’on interagit mal avec la biodiversité, il y a un risque de provoquer de telles perturbations.

Qu’est-ce que la biodiversité ?

La définition théorique se découpe en trois parties. Il y a d’abord la biodiversité génétique, ce qui fait que nous sommes à la fois tous pareils et tous différents au sein d’une espèce. Il y a ensuite la biodiversité spécifique, celle qui différencie une espèce d’une autre. Enfin, il y a la biodiversité écosystémique : celle des milieux naturels, et qui fait que nous avons sur Terre la savane, la toundra, les zones montagneuses, mais aussi le bocage dans nos campagnes … Ce qui est important, c’est que ce ne sont pas là des catalogues indépendants, qui existeraient côte à côte. Les espèces sont en interaction permanente entre elles, et avec les écosystèmes. C’est cette interaction qui fait tout fonctionner. La biodiversité est un phénomène dynamique. Quand une espèce s’effondre, tout l’écosystème est perturbé. Pour prendre un exemple, la surpêche en Namibie a vidé la mer des poissons, et ce sont les méduses qui ont pris la place. Les populations locales sont impactées par ce changement. Rappelons donc que les humains respirent, se nourrissent, ont de l’eau de qualité grâce à la biodiversité.

La société repose sur les services rendus par la nature. Chaque espèce qui s’éteint, milieux naturels qui est atteint aggrave la détérioration de la biodiversité et met en péril l’équilibre global de notre biosphère. Un avion qui perd un boulon peut continuer de voler. S’il en perd deux, trois ou plus … il finit par s’écraser.

La nature nous rend donc des services ?

Oui. Je viens d’en citer quelques uns mais pensons aussi à la fertilité des sols, au bois de chauffage ou de construction, à la régulation du climat … Et ce n’est pas une conception utilitariste de la nature, c’est en fait une vision du monde, une éthique. L’espèce humaine est une espèce, certes, mais elle se place dans un système d’interactions, sur lequel elle influe positivement et négativement. On doit re-questionner notre place dans le monde. On a longtemps pensé qu’on pourrait dominer la nature. En fait, pas vraiment …

L’Homme peut donc avoir une influence positive sur la planète ?

Oui, comme lorsqu’on gère un espace naturel : on laisse la nature reprendre ses droits et les espèces prospérer. L’aménagement du territoire est un levier essentiel, et on a besoin de politiques de protection d’aires naturelles. Chaque année, l’équivalent d’un département est perdu par l’artificialisation des sols. Le modèle agricole, lui aussi, doit évoluer. Les ressources de notre planète sont limitées et l’exploitation de la biosphère doit en tenir compte pour atteindre un développement soutenable.

L’OFB est partenaire de JeVeuxAider. En quoi la protection de la biodiversité relève-t-elle de l’engagement civique ?

Nous sommes toutes et tous concernés par la biodiversité car nous avons envie de pouvoir vivre dans de bonnes conditions : je parle ici de santé, de bien-être, de stabilité économique … A première vue, la biodiversité est un sujet macro, et pourtant il se traduit très concrètement. Chacun peut observer la détérioration (ou la restauration) de la nature autour de soi et peut agir – ce qui ne revient pas à déresponsabiliser les acteurs publics ou privés, qui doivent faire leur part. Aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge. Or chaque décision individuelle et quotidienne a un impact : nos choix de vie, de consommation, de transport peuvent nous aider à repasser au vert. L’OFB a recensé 52 gestes très variés qui contribuent à préserver la biodiversité : acheter en vrac, privilégier les produits bio, réparer ses objets, arrêter les pesticides dans son jardin, signaler un animal blessé, ou encore encourager ses élus locaux à s’engager pour la nature … J’agis pour la nature propose de nombreuses missions sur jeveuxaider.gouv.fr et offre à tous la possibilité de donner un coup de pouce.

J’agis pour la nature propose notamment des missions d’observation de la biodiversité. En quoi lui sont-elles bénéfiques ?

Les projets de sciences participatives alimentent les scientifiques. Les citoyens sont invités à observer les espèces animales et végétales autour d’eux – les oiseaux par exemple – et de partager leurs observations sur des plateformes numériques. L’observation est une action concrète et accessible à tous : on peut le faire en famille, et même de sa fenêtre ! Or elle a un réel intérêt pour les scientifiques, qui obtiennent ainsi une grande quantité de données et créent des indicateurs pour suivre la biodiversité. Ils peuvent affiner leurs diagnostics, mieux comprendre les phénomènes, et en tirer des enseignements précieux pour la mise en œuvre des politiques publiques.

La nouvelle génération semble être plus sensible aux questions environnementales. La biodiversité fait-elle partie de ses priorités ?

Il y a une réelle prise de conscience d’une partie des jeunes sur la transition écologique. Chez eux comme ailleurs, on remarque qu’elle s’est faite plus lentement sur la biodiversité que sur le dérèglement climatique. Le climat est un sujet qui donne lieu à une forte mobilisation, et les jeunes ont participé aux différentes marches pour le climat. À côté, la biodiversité disparaît encore trop en silence. C’est lié au fait qu’on n’a pas encore assez dit ce qu’elle représentait : on a longtemps désigné les espèces naturelles comme des choses à admirer … et certains y sont sensibles, mais tout le monde ne fait pas toujours le lien avec sa propre vie. On ne se pense pas dans la nature mais à côté. Il faut progresser dans la prise de conscience. Et il y a aussi des signaux positifs l’Éducation nationale a organisé des consultations sur les questions écologiques, et la nature est sortie en tête des préoccupations. Pour une partie de la jeunesse, c’est une vraie préoccupation – comme dans les entreprises, où l’on voit que de plus en plus de collaborateurs questionnent les politiques de développement durable. Néanmoins une part importante des jeunes reste loin de ces sujets. C’est un enjeu de société, et nous avons encore un gros travail de transformation à accomplir.

Comment garder espoir dans ce contexte ?

Déjà, rappelons que chacun peut agir. Et la bonne nouvelle, c’est que quand on agit localement pour la biodiversité, cela se voit (contrairement à la réduction des émissions carbone, dont on ne peut pas observer les effets à l’œil nu). Dans un jardin, une collectivité, quand on arrête les pesticides, les insectes reviennent. C’est très gratifiant. Il faut donc penser global et agir local. On a vu comment le sujet climatique est monté dans la société et donc chez les décideurs. Aujourd’hui, nous devons faire de même sur la biodiversité. L’engagement citoyen peut vraiment y contribuer, et ainsi activer de grandes transformations. JeVeuxAider est un des leviers à notre disposition pour booster la prise de conscience et l’engagement. Parce qu’il est porté par l’État, il envoie un signal positif et montre que la protection de la nature n’est pas qu’une histoire de militants associatifs passionnés (et dont on a bien sûr besoin !) : elle fait pleinement partie de l’intérêt général.